Le Conseil d’État vaudois a récemment répondu à une interpellation sur la durée de vie des équipements numériques utilisés par l’administration cantonale. Si cette réponse témoigne d’une volonté réelle de limiter l’empreinte environnementale du numérique public, elle laisse apparaître un angle mort préoccupant : le rôle central du logiciel dans l’obsolescence.
https://www.vd.ch/actualites/decisions-du-conseil-detat/seance-du-conseil-detat/seance/1029288
Un impact majeur dès la fabrication
Le texte rappelle à juste titre que l’impact écologique d’un ordinateur se situe essentiellement dans sa fabrication : 800 kg de minerais, 20 kg de produits chimiques, 240 kg de CO₂. D’où l’urgence de prolonger la durée de vie des équipements — réduire, réutiliser, réparer, recycler.
Dans ce contexte, le Canton affirme :
- Garder les ordinateurs portables en moyenne 5 ans,
- Remplacer les téléphones tous les 3 ans,
- Conserver les ordinateurs de bureau et les écrans jusqu’à panne.
C’est un effort louable. Mais pourquoi si peu ? Car la durée de vie réelle est aujourd’hui dictée par le logiciel : quand les mises à jour de sécurité s’arrêtent, l’appareil devient inutilisable pour des raisons réglementaires ou de sécurité, alors que le matériel fonctionne encore parfaitement.
Politique d’achat : l’oubli du logiciel
La réponse du Conseil d’État détaille les critères écologiques et sociaux inclus dans les marchés publics (labels durables, audits sociaux, transparence des usines). Mais aucune exigence n’est formulée sur le plan logiciel.
Pas un mot sur :
- la compatibilité avec les systèmes libres,
- la disponibilité de pilotes open source,
- la possibilité de désactiver les verrous ou la vérification de leurs absences.
- ou l’ouverture des spécifications matérielles.
Cette absence de critères empêche toute transition vers des systèmes d’exploitation libres, qui pourraient prolonger de plusieurs années la vie utile d’un appareil, et faciliter sa réutilisation par des tiers.
5 ans pour un laptop : un minimum dans le libre
Dans le monde du logiciel libre, il est courant de maintenir un ordinateur pendant 8 à 10 ans, voire plus. Grâce à des distributions comme Debian, Ubuntu, Mint ou Fedora, le matériel ancien reste fonctionnel, léger, sécurisé. Le remplacement de quelques pièces durant leur cycle de vie permet d’avoir un cycle bien plus long.
Et les serveurs ? La réponse du Conseil d’État n’en parle pas, alors que leur durée de vie peut être considérablement augmentée avec des systèmes libres bien configurés. C’est un potentiel d’économies et de sobriété largement inexploité.
Le Canton appelle à un numérique responsable, mais à y regarder de plus près, le “responsable” semble se limiter au sens environnemental. Or un numérique véritablement responsable est aussi socialement et économiquement juste — ce que le logiciel libre incarne pleinement.
Un numérique responsable… à moitié
Le Conseil d’État se réclame d’un numérique responsable, à juste titre. Mais aujourd’hui, sa démarche est encore centrée sur la seule durabilité environnementale, alors que la responsabilité numérique a trois dimensions :
- Environnementale : réduire l’impact écologique du matériel, ce qui est partiellement engagé ;
- Économique : éviter le gaspillage et la dépendance à des fournisseurs fermés, ce que le logiciel libre permet naturellement ;
- Sociale : garantir l’accès, la transparence, la réutilisation, le contrôle local — autant de valeurs que promeuvent les licences libres.
Prolonger la vie d’un appareil n’est pas qu’un geste écologique, c’est un investissement. Contrairement à un achat unique qui sort immédiatement du canton, chaque année d’usage gagnée grâce à des outils libres permet de générer de la valeur localement, dans la formation, la maintenance, ou les services numériques ouverts.
Le logiciel libre est, par nature, socialement et économiquement responsable :
- Il permet de redéployer du matériel avec des outils gratuits, sécurisés, sans licence restrictive.
- Il favorise la formation locale (étudiants, entreprises régionales) autour de systèmes ouverts.
- Il donne aux collectivités publiques le contrôle sur leurs outils, leurs données et leurs choix techniques.
- Il constitue un investissement dans le tissu économique local, en permettant à des PME, indépendants, coopératives ou structures éducatives du canton de développer leurs compétences autour de solutions ouvertes — et donc de faire circuler les dépenses publiques dans l’économie vaudoise elle-même, au lieu de les exporter vers des multinationales.
Une occasion à saisir
Aujourd’hui, le Canton de Vaud pourrait aller plus loin en :
- en intégrant des critères logiciels dans les marchés publics (comme le font certaines administrations en France, en Allemagne, ou même à Genève),
- en soutenant les projets pilotes avec des distributions libres pour les postes basiques ou les appareils reconditionnés,
- et en déverrouillant la durée de vie logicielle du matériel pour en faire un levier de résilience publique.
Conclusion
Le Conseil d’État vaudois avance sur la voie du numérique durable.
Mais sans une prise en compte du logiciel — et notamment du logiciel libre — la démarche restera partielle.
Un numérique vraiment responsable ne peut être que libre, accessible, transparent et réutilisable.
Le moment est venu pour les administrations de reprendre la main sur leurs outils et de faire du logiciel libre non pas une option marginale, mais un pilier central de la transition numérique publique.
Il n’y aura pas de responsabilité sans liberté.
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