Deux projets en Suisse veulent imposer une vérification obligatoire de l’âge sur les réseaux sociaux : la pétition déposée à la confédération intitulée “Schützt unsere Kinder – Social Media erst ab 16” et le projet de loi LPnum porté par les Verts. L’intention affichée est légitime : protéger les jeunes face aux risques liés à l’usage intensif des plateformes numériques. Mais la solution proposée est dangereuse, disproportionnée et inefficace.
HTTPS, anciennement Parti Pirate Vaudois, défend les libertés numériques, la vie privée et un Internet ouvert. Pour nous, ces projets sont une mauvaise réponse à un vrai problème.
Une mesure intrusive qui menace nos droits fondamentaux
Vérifier l’âge peut sembler anodin au premier abord, mais dans la pratique, c’est une mesure intrusive qui remet en cause plusieurs droits essentiels. Elle porte atteinte à la vie privée, car toute vérification impose de fournir des documents d’identité, des données biométriques ou de passer par un tiers de confiance. Dès lors se posent les questions fondamentales : qui stockera ces données, qui y aura accès et quelles garanties existeront contre les fuites et les abus ?
Cette obligation signe aussi la fin du pseudonymat en ligne. Or, de nombreux utilisateurs — journalistes, militants, victimes de violence de tous âges — dépendent de la possibilité de s’exprimer sous un nom d’emprunt pour se protéger. Imposer une preuve d’identité reviendrait à supprimer cette protection essentielle.
Les risques de censure sont également importants. Les catégories de contenus interdits aux mineurs sont souvent définies de manière vague, et l’expérience montre que cela aboutit à restreindre l’accès à des informations légitimes. Des ressources éducatives sur la santé, la sexualité, l’éducation ou encore les droits humains se sont déjà retrouvées bloquées au nom d’une protection mal définie.
L’exemple de ciao.ch, une plateforme suisse de prévention et de dialogue destinée aux jeunes, illustre parfaitement ce danger. Bien que ce site ait pour objectif de soutenir les adolescents et de répondre à leurs questions sensibles, il pourrait être considéré comme un “réseau social” et se voir interdit ou fortement limité par ce type de législation. Il serait particulièrement contre-productif que des projets censés protéger la jeunesse restreignent l’accès à un outil pensé justement pour l’accompagner.
Enfin, une telle mesure accentuerait l’exclusion numérique. Tout le monde n’a pas un accès facile à des papiers d’identité reconnus, à un système de vérification numérique ou aux compétences pour les utiliser. Les personnes sans-papiers, migrantes, âgées ou en situation précaire risqueraient de se voir exclues d’une partie de l’espace numérique. Ces personnes seraient alors privées des contacts avec leurs proches ou leur communauté.
Quand les experts sonnent l’alarme
L’Electronic Frontier Foundation (EFF), organisation internationale de défense des libertés numériques, a documenté les effets pervers de ces mesures. Elle montre que la vérification d’âge produit un effet dissuasif même sur les adultes, qui hésitent à consulter certains contenus par crainte d’être surveillés. Cet effet a déjà des conséquences concrètes observables, puisque de nombreux créateurs de contenue pratiquent une autocensure avérée lorsqu’il s’agit de parler de sujets historiques ou de santé, cela pour se conformer à l’opinion ou aux allégeances politiques des propriétaires des réseaux sociaux, qui constituent leur moyen d’expression publique principal. Sur Youtube, les vulgarisateurs doivent aujourd’hui user de périphrases ridicules lorsqu’ils produisent du contenu sur l’histoire du milieu du XXe siècle ; il en va de même pour les associations de prévention contre le viol ou l’inceste. Cela crée un dangereux effet de minimisation du propos et nuit gravement à des messages d’intérêt public majeur.
Elle alerte aussi sur les dérives vers une surveillance généralisée, où l’identité deviendrait une condition préalable à chaque action en ligne. Enfin, elle démontre que ces dispositifs restreignent souvent l’accès à des contenus éducatifs ou communautaires, en particulier pour les jeunes LGBTQ+.
Des alternatives plus sûres et plus efficaces
Protéger les enfants et les adolescents est une nécessité. Mais cette mission ne doit pas justifier la mise en place d’un système de contrôle généralisé. D’autres solutions existent et devraient être privilégiées. L’éducation numérique, par exemple, permet de donner aux jeunes les outils pour comprendre et gérer les risques en ligne. Les familles peuvent être accompagnées avec des outils de contrôle parental qui leur permettent de réguler l’usage des écrans sans imposer de restrictions à l’ensemble de la société.
La transparence des plateformes doit aussi être exigée : il est temps que les réseaux sociaux rendent publics leurs algorithmes, leurs pratiques de modération et leurs effets sur la santé des jeunes. Enfin, des réglementations ciblées, comme l’interdiction des publicités abusives ou la limitation des fonctionnalités addictives, seraient bien plus efficaces que l’imposition d’une vérification d’identité pour tous. L’interopérabilité et la portabilité entre les plateformes permettra aussi de s’en extirper sans perdre les contacts que l’on s’y est fait en passant d’une plateforme à l’autre. Cela limiterait la dépendance aux plateformes existantes et offrirait l’opportunité à de nouvelles plateformes de voir le jour sur des paradigmes différents.
Conclusion : protéger les enfants sans sacrifier nos libertés
L’obligation de prouver son âge sur les réseaux sociaux semble protectrice, mais elle est en réalité dangereuse et contre-productive. Elle ouvrirait la porte à un Internet surveillé, centralisé et inégalitaire, sans garantir une véritable protection des jeunes.
La meilleure façon de protéger les enfants n’est pas de contrôler toute la population, mais de renforcer l’éducation, la responsabilité et la transparence des plateformes.
Le Parti HTTPS-VD s’oppose donc clairement à ces projets. C’est uniquement en garantissant en premier lieu la protection de la vie privée, de la liberté d’expression et de l’accès à la connaissance que nous pourront garantir la protection de nos enfants et de leur avenir.